Lettre à la Trumpélie

Chroniques de la Trumpélie du Sud en Legaultélie

Chère Trumpélie,

Je suis fatiguée.

Les relations d’amour-haine, à vingt ou trente ans, c’est excitant. Ça donne l’impression d’avoir une vie passionnante.

Mais quand on atteint l’âge d’être vaccinée en priorité, c’est juste épuisant.

Les huit premières années de notre relation, je t’ai trouvée parfois brillante, parfois loufoque, mais toujours intéressante. J’ai découvert chez toi des paysages parmi les plus sublimes du monde. J’ai dégusté la douceur des soirées de février, à écouter chanter les grillons avant d’aller faire une dernière saucette. J’ai senti ton inlassable énergie même dans un État où la légende veut que tout le monde se déplace avec une marchette.

Mais depuis les quatre dernières années, j’ai assisté aux premières loges à tes étalages d’actes et de pensées déplorables, cruels, injustes et parfois même démentiels. (Les palmiers se balançaient quand même au vent, c’est ça le maudit problème.)

Trumpélie, je t’aime : l’histoire de Sam

Mon ami Sam le peintre avait mal au ventre. Sa blonde l’a emmené à l’hôpital. Il en est ressorti 52 jours plus tard, un kilomètre d’intestin en moins et un pronostic réservé, comme ils disent.

Même en Trumpélie, on ne vit pas richement quand on est un artiste. Sam a bien sûr des collectionneurs fidèles et un poste d’enseignant à temps partiel au centre d’art, mais je doute qu’il ait des assurances santé en béton. Sa blonde a donc lancé un GoFundMe avec un objectif de 25 000 $. L’objectif a été largement dépassé en quelques jours à peine, à coup de 10, 20, 100 ou 1000 dollars. Héritage du protestantisme? Marque d’amitié envers un prof formidable? Les Trumpéliens sont généreux.

Trumpélie, je te hais : l’histoire de Maria

Maria, 32 ans, était gestionnaire dans un autre centre d’art du comté de Palm Beach. Elle venait d’acheter une maison avec son amoureux. Elle devait se marier le 31 décembre. Le 6 décembre, comme tous les dimanches, elle a installé sa chaise longue sur la plage de Singer Island, une plage touristique généralement bondée. Pendant qu’elle regardait son chum jouer au ballon, elle a été atteinte par une balle perdue et est morte à l’hôpital quelques heures plus tard. Le 15 décembre, la police arrêtait l’auteur présumé de l’homicide : un adolescent de 16 ans.

À quel endroit pensez-vous quand vous êtes sur la chaise du dentiste?

J’ai plusieurs amis qui, lorsqu’ils subissent une coloscopie et qu’on les invite à visualiser leur lieu préféré entre tous, évoquent l’image de la Gaspésie. Ils y retournent chaque année, attirés par ses phares poétiques et ses marées toujours renouvelées. Et les semaines complètes de pluie à 5 degrés en plein mois de juillet, ça ne les achale pas? Bien sûr, mais c’est si peu de chose en comparaison…

J’ai d’autres amis qui ne jurent que par l’Islande. N’appuyez pas sur le bouton « aurores boréales », ils sont partis pour la soirée. C’est leur coin de paradis, leur lieu de ressourcement, c’en est presque mystique. Bon, bien sûr, le poisson cru mariné dans l’huile pour déjeuner, c’est pas top, mais rien n’est parfait, on s’apporte des barres tendres.

Le balancier de ces touristes a une faible amplitude. L’écart entre ce qu’ils aiment de leur lieu de prédilection et ce qu’ils en détestent n’est pas étendu comme la Patagonie. Dresser le bilan de leurs goûts et dégouts ne leur donne pas le vertige ni le torticolis. Ils s’accomodent des petites lacunes comme on s’accomode des petits défauts de l’homme de sa vie. On ne divorce tout de même pas parce qu’il brasse son café pendant 10 minutes le matin…

Trumpélie, l’oiseau des neiges est à boutte

Moi, chère Trumpélie, tu m’obliges à composer avec des spectacles comme celui du 6 janvier 2021, une disgrâce propre à faire rougir jusqu’au chromosome Y que portent la vaste majorité des protestataires blancs du Capitole (sauf bien entendu celle qui est morte de sa passion pour le président sortant). 

Tu m’obliges à composer avec l’hypocrisie de tes médias, qui rivalisaient d’indignation le soir du 6 janvier, oui oui, même Fox, alors qu’ils ont nourri leurs cotes d’écoute pendant quatre ans en s’appesantissant sur le moindre tweet de Trump.

Tu m’obliges à entendre d’illustres commentateurs (dont l’ancien président Bush lui-même) comparer les événements à ceux qui caractérisent les républiques de banane en faisant l’impasse sur le fait que ce sont les USA eux-mêmes qui ont concouru à installer et à perpétuer ces régimes iniques.

Chère Trumpélie, c’est parfois vraiment difficile de se rappeler que tu as accueilli Einstein et lui as offert une job à l’université.

C’est parfois presque incroyable que tu sois la patrie de Betty Friedan et de Gloria Steinem.

C’est parfois tout à fait étonnant qu’aient pu éclore chez toi des talents comme ceux de Jackson Pollock et de Yo-Yo Ma, pour ne nommer que ceux-là.

Chère Trumpélie du Sud, tu me donnes envie d’aller voir si les fruits de la Guadeloupe sont si doux qu’on en oublie l’hiver et l’hommerie. D’aller vérifier si le chant des oiseaux au Costa Rica vaut qu’on vive avec des volcans pas tout à fait éteints. Tu me donnes envie d’aller voir s’il y a encore du corail dans les eaux des Bahamas. Tu me donnes envie de vérifier s’il existe encore au Mexique des villages épargnés par les cartels.

Chère Trumpélie du Sud, maintenant qu’une partie substantielle des taxes que je déverse à la pelletée dans tes coffres ne servira plus à financer les caprices d’un président fou qui s’entête à jouer au golf chez toi, je te donne une dernière chance. Mais vraiment une dernière.

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Échec et mat

Chroniques de la Trumpélie du Sud en Legaultélie

Malgré les efforts appuyés de mes voisins à temps partiel (sauf Peter, bien entendu), les Américains ont congédié au début du mois leur 45e président. 

Pandémie oblige, je n’y étais pas pour exécuter une danse de la joie avec Peter, moi qui rêvais de le faire autant que de renouer avec la chaleur.

Une ombre gris pâle, cependant, assombrissait mon euphorie, comme elle l’a fait pour tous les satiristes et caricaturistes du monde. Qui, à présent, va nourrir notre légitime mauvaise humeur? Qui va faire monter nos taux de cortisol juste assez pour nous rendre créatifs? Qu’allons-nous accomplir, désormais, avec toute l’énergie que va nous laisser la disparition de l’indignation?

Pis mon titre, hein? Caduc? Désuet? Quoi, je m’étais attachée au concept de Trumpélie… Il va falloir que j’y réfléchisse…

Ces derniers jours, au lieu de siroter comme d’hab en novembre mon dernier verre de vin sur la terrasse au clair de lune, j’ai regardé le succès de l’heure sur Netflix, soit la série The Queen’s Gambit (Le jeu de la dame en français).

Parmi toutes les qualités que cette série possède, la moindre n’est pas de nous intéresser à un jeu aussi formidablement incompréhensible que les échecs. (Mais est-ce seulement un jeu?) Il s’agit bel et bien d’un exploit que de nous garder sur le bord de notre chaise à regarder un duel auquel on ne comprend rien, aussi nerveux que si c’était la dernière game de la série Canada-Russie. (Au fond, cependant, échecs et hockey servaient la même fonction à l’époque: une métaphore de la lutte entre le communisme et le capitalisme, l’Est et l’Ouest, le Bien et le Mal.)

À présent, Fischer a battu Spassky, l’équipe canadienne a battu l’équipe russe et le capitalisme a battu le communisme.

Sommes-nous vraiment plus avancés? Il ne nous reste plus qu’un ennemi et c’est un microbe.

Le jeu de la reine en français.

J’ai vécu mon adolescence dans les années 70, à l’époque où le jeu d’échecs atteignait des sommets de popularité inégalés depuis. (Mais il paraît que ça remonte en flèche ces temps-ci…) J’ai toujours voulu apprendre à jouer, mais rien, alors rien au monde n’était plus contraire à mon tempérament. 

Il fallait garder le silence pendant des heures alors que je vivais pour socialiser.

Il fallait rester assise pendant des siècles, alors que je volais de la troupe de théâtre au centre de ski, de la discothèque à mes jobs à temps partiel, de la manifestation au café étudiant avec tous ses plaisirs défendus.

Les clubs d’échecs ne comptaient que des garçons dans leurs rangs. Que voilà une caractéristique qui aurait dû me motiver à apprendre les déplacements du cavalier, mais les joueurs d’échecs de l’époque étaient les ancêtres des nerds d’aujourd’hui avec ce que cela comporte de timidité, d’introversion et de boutons d’acné.

Et maintenant que j’ai atteint l’âge où l’on commence à s’inquiéter des lacunes de notre mémoire à court terme, je me rassure en me disant que j’étais incapable de garder en tête trois ripostes possibles à un éventuel coup de l’adversaire. Mon cerveau n’était juste pas programmé pour ça, même à 17 ans. 

L’autre reine

Et puisqu’il est question de télésérie et de reine, je ne peux m’empêcher de vous glisser un mot à propos de The Crown, l’autre méga-succès du géant trumpélien Netflix.  (Décidément, j’y reviens chaque année à la même époque…) Et de vous confier à quel point j’en jalouse le scénariste.

Non mais, qu’est-ce qu’ils ont l’air plaisants…

Au Québec, quand on présente un projet de télésérie à un diffuseur, la première question que l’on vous pose est: «Quel est l’arc des personnages?» Autrement dit: «D’où partent-ils au début de la série? Où en sont-ils à la fin? Et entre les deux, quelles sont les transformations, profondes ou superficielles, qu’ils connaissent?»

La seconde question est: «Qu’est-ce qui va permettre aux téléspectateurs de s’attacher à vos personnages, voire de s’identifier à eux?» Cette questions se passe d’explication.

Voici donc, telle que je l’imagine dans ma petite tête pas douée pour la stratégie, la conversation entre l’auteur de la série The Crown et les grands boss de Netflix.

Boss – Quel est l’arc de vos personnages?

Auteur – Y’en n’a pas. Ils restent toujours pareils, sauf peut-être pour la pauvre poulette qu’est Diana, qui va de mal en pis. Quand ça commence, ils sont riches mais impuissants et inutiles, pis ils sont encore riches, impuissants et inutiles quand ça finit. Ils n’aiment pas leur vie au début, pis ils ne l’aiment pas plus à la fin. Mais ils ne peuvent rien y faire. Contrairement à ce que dictent les règles de la scénarisation, ils subissent l’Histoire au lieu de déclencher l’histoire.

Boss – Qu’est-ce qui va amener les téléspectateurs à s’attacher à vos personnages?

Auteur – Rien pantoute. C’est toute une gang de sous-développés affectifs, incapables de rien ressentir et encore moins d’exprimer une émotion. Ils sont déconnectés de la réalité, mauvais, sans culture, alcooliques, gâtés et aussi sensuels qu’un plum-pudding oublié dans le garde-manger du palais. Mais je vous le jure, le mondentier va aimer ça pareil.

Boss – Super. Voici des trounoirillions de dollars pour écrire votre série.

Le mot de la pas fine

Presque un million d’exemplaires vendus pour Obama au moment où j’écris ces lignes. L’homme est de toutes les tribunes, de tous les talk-shows. Il accepte sans broncher qu’on lui pose des questions comme: «Est-ce vrai que vous avez fait l’amour le soir où Ben Laden a été descendu?» (Jimmy Kimmel.) Et ça n’a pas dérougi depuis les dernières semaines de la campagne électorale. Tant et si bien qu’on peut s’interroger sur le timing de ce phénomène de l’édition. Obama aurait voulu voler la vedette au discret Biden qu’il n’y se serait pas pris autrement. Qui seront le vrai roi et la vraie reine sur l’échiquier états-unien? Barack et Michelle, déjà élevés au rang d’icône de la culture populaire, ou Joe et Jill, avec leur profil sensiblement plus bas? Stay tuned.

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Six résolutions pour l’avenir

Chroniques de la Trumpélie du Sud en Legaultélie

 

En temps normal, autrefois, naguère, je serais rentrée aujourd’hui de la Trumpélie du Sud. Au cours des huit dernières semaines, j’aurais pris prétexte des grands événements ou des anecdotes de la vie quotidienne pour jeter un regard tantôt tendre, tantôt critique et parfois même incrédule sur la culture américaine.

Mais voilà, le coronavirus en a décidé autrement, et j’ai pris sagement et précocement la route du Nord. Depuis, et malgré mes efforts, je n’ai trouvé rien d’autre que vous-savez-quoi comme sujet pour mes chroniques. De même, je n’ai trouvé rien de mieux que l’humour comme approche, tous mes ex-psys vous diront que c’est mon moyen de défense préféré.

Il n’en reste pas moins que mon beat, comme disent les journalistes, c’est la Trumpélie, pas la Legaultélie. Cette dernière est assez bien nantie merci en chroniqueurs, blogueurs, donneurs d’opinions, influenceurs et autres grandes gueules. Et puis, misère, il se dit tant de choses sur cette bibitte qui vient de squatter l’humanité que je ne vois pas bien ce que je pourrais ajouter aux trounoirillions de lignes écrites sur le sujet.

C’est pourquoi, fidèle à l’habitude que j’ai prise ces dernières semaines, je vous laisse en guide d’au revoir ma dernière liste de la saison 2019-2020.

L’expérience du confinement m’a  permis de prendre des résolutions fermes pour l’avenir, quel qu’il soit, l’important étant qu’on en ait un. Voici donc trois choses que je veux être et trois choses que je ne veux pas être.

***

Mon chien Roméo aimait l’océan à la folie. Il se précipitait dans les vagues trois fois hautes comme lui, avalait avec délectation de grandes lampées d’eau salée qu’il s’empressait de dégobiller sitôt remonté en voiture et pourchassait les goélands avec la ténacité d’une blogueuse à la recherche d’un public. De retour au Québec, il s’est mis à arpenter ventre à terre le lac gelé, puis à patauger dans la bouette laissée par la lente fonte des neiges. Il n’attache aucune connotation affective au fait qu’il neige encore le 8 mai.  Il juge qu’un museau égratigné vaut bien le plaisir de harceler un chat. Il a de l’amour, de l’exercice et des croquettes. Il est heureux.

Je veux être comme Roméo.

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Roméo.

L’auteur autrichien Stefan Zweig a beaucoup écrit, a beaucoup voyagé et a eu beaucoup d’amis. Mais il est né au mauvais moment, puisqu’il a connu deux guerres. Dans l’intervalle, lui qui est juif, il s’enfuit à Londres pour échapper au régime nazi. Il se voit vieillir et cela ne lui dit rien qui vaille. Il observe l’humanité et il se décourage. En 1942, il perd espoir et avale toute sa bouteille de somnifères.

Je ne veux pas être comme Stefan Zweig.

 

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Stefan Zweig.


 

«Quand je n’ai pas de bleu, je mets du rouge.» Picasso a-t-il lui aussi peint en confinement et attendu trop longtemps une commande par internet? Sa phrase est sans doute devenue célèbre parce que sa désarmante simplicité cogne aussi fort au propre qu’au figuré.

Je veux être comme Picasso.

Picasso

Pablo Picasso.

 

Comme un peu tout le monde, je suis excédée. J’ai des fourmis dans les jambes, les contradictions du gouvernement me hérissent et je n’ai toujours pas compris comment on peut changer la couche d’un trottineur très vigoureux à deux mètres de distance. Néanmoins…

Je ne veux pas être comme ce manifestant.

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Depuis le début du confinement, j’ai passé des heures et des heures à élaguer dans mes rangements: vêtements, souvenirs, livres, dossiers. J’ai jeté, donné, recyclé, brûlé. Mais pas encore assez. Leonard Cohen a écrit pas moins de 80 couplets pour sa chanson «Hallelujah». Il en a conservé quatre.

Je veux être comme Leonard Cohen.

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Leonard Cohen.

 

La délation au lieu de la compassion, la docilité au lieu de la lucidité, la hargne au lieu de la réflexion.

Je ne veux pas être comme cette vieille dame, à la marque des 2:30 de la vidéo présentée ici.

Police


 

Luc Bédard a lui aussi beaucoup surveillé l’humanité pendant le confinement, surtout celle qui est payée pour nous surveiller. Il en a tiré cinq portraits. Je veux être le dernier…

Bonjour, belle dame du Sud du Nord,

Vous ai-je avoué que vos récentes chroniques sous forme de listes m’ont impressionné à un point que je fus tenté d’en faire autant mais me suis aussitôt senti comme la grenouille voulant devenir, etc., etc., en tout cas y’a un bœuf dans cette fable et ça finit mal?

Qu’à cela ne tienne, je me suis laissé inspirer un peu quand même. Ma formation en étant cependant une de (mauvais) psychologue et non d’écriveux, je me contenterai de quelques portraits de personnages qui ont en commun d’avoir été investis par la pandémie, à leur corps généralement défendant, d’une sorte de pouvoir. Ils ou elles travaillent dans des épiceries, hôpitaux, pharmacies, ou des services vraiment essentiels comme la SAQ, et ont pour fonction de faire respecter la distanciation sociale et tout ce qui s’ensuit.

Ne me prenant pas pour une bouteille de seven-up dégazéifiée, je me permettrai de coiffer cette galerie de personnages du titre «Les caractériels», m’inspirant bien sûr du dude La Bruyère, qui avait évidemment nettement moins de talent que moi, le nono.

Les caractériels, par Luc de la Bédardière

 

Le sous-fifre frustré

Aussi connu sous divers synonymes, comme «aspirant SS né trop tard», «boss des bécosses» ou «bec-sec», ce personnage a toujours rêvé d’être polisse (sic), gardien de prison ou, faute de mieux, «gérant-associé» d’un walmart, mais s’est toujours vu ravaler au ras des pâquerettes en attendant de se trouver dessous. Promu détenteur d’une autorité inespérée, on le voit, armé d’une baguette dont il voudrait bien qu’elle se transforme en cravache ou en taser, diriger une file d’attente avec de grands moulinets et des AVANCEZ! RECULEZ! N’APPROCHEZ PAS! d’une virilité qui transcende les genres, lesquels n’ont qu’à bien se tenir. Terrifiant.

L’obsessionnel

Ce tempérament caractérise les ceusses qui avaient déjà de la misère, dans la vie, avec l’ambiguïté, l’incertitude ou toute autre forme d’affaire pas claire ou peu s’en faut. Armé d’un galon à mesurer précis au nanomètre près et d’une horloge atomique, il s’assure du respect maniaque du deux mètres et des vingt secondes tels que proprement distanciés, et voit par la même occasion à ce que les flèches sur le sol soient suivies dans l’exact sens qu’elles indiquent, même si elles vous mènent directement à la porte ouvrant sur le précipice dont tout  le monde sait qu’il a été creusé en laboratoire par les Chinois. Qu’importe qu’on n’aille nulle part, on va y aller précisément. 

L’IMPAVID-19

Ce personnage pourrait, à première vue, passer pour un être humain ordinaire. Tant qu’il ne parle pas. Car c’est au son de sa voix qu’il trahit immanquablement son inénarrable absence de tout atome de ce qui pourrait ressembler à une quelconque sensibilité. En fait, il avait tout d’abord été conçu pour être absolument muet, mais les règles de distanciation sociale ont obligé ses concepteurs à le doter d’une voix synthétique qui répète inlassablement et sans intonation aucune la même phrase. On l’entendra ainsi ânonner PAS D’ACCOMPAGNATEUR – PAS D’ACCOMPAGNATEUR – PAS D’ACCOMPAGNATEUR à l’entrée d’un hôpital, d’une résidence pour personnes âgées ou, suite logique, d’un salon funéraire près de chez vous.

L’insécure

Ce personnage n’avait jamais, au grand jamais, cherché à acquérir quelque pouvoir que ce soit , où que ce soit et sous quelque forme que ce soit. On le distingue par son regard perpétuellement hagard, sa recherche compulsive d’une porte de sortie ou même simplement d’une craque dans le mur où disparaître une fois pour toute dans l’interstice séparant deux atomes. C’est d’une voix terrifiée qu’il vous prie, vous supplie en fait, de vous laver les mains et de prendre un panier qu’il vient de désinfecter en s’en excusant bien bas. Vivement le retour d’une sorte de normalité qui le dispenserait enfin de paraître exister.

La normale ben correcte

En fait, cette catégorie regroupe l’immense majorité des gens appelés à diriger tant bien que mal la circulation des distanciés en ces temps pandémiques. Attentionnée, humaine, ferme sans être rigide, souriante sans avoir l’air de rire de vous, vous invitant d’une voix gentille et avec égards à procéder aux obligatoires ablutions d’à peu près vingt secondes sans exagérer dans un sens ou dans l’autre, cette personne est, en somme, normale. Elle ne fait pas d’histoire et conséquemment, n’en inspire pas non plus. Les gens normaux, heureux, gentils mais pas trop n’ayant en effet jamais intéressé personne, elle ne nous intéressera donc pas non plus. C’est plate de même et merci, belle dame du Sud du Nord, de m’avoir laissé sévir comme un misérable microbe dans votre admirable blogue.

Luc Bédard

 

 

 

 

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Dix petites annonces

Chroniques de la Trumpélie du Sud en Legaultélie

Dix petites annonces inspirées par le point de presse du 29 avril 2020 de la vice-première ministre du Québec, Geneviève Guilbault


 

Concitoyens du village des irréductibles Gaulois! C’est moi Assurancetourix, votre druide! Voilà plus de 50 ans que vous repoussez les légions romaines grâce à la force surhumaine que vous confère ma potion magique. À présent, il est temps de vous reposer. Découvrez la version 2.0 du précieux breuvage. Il vous suffit de le faire boire aux Romains du camp retranché de Babaorum sous prétexte d’étancher leur soif de divertissement. Ils deviendront aussitôt dociles et obéissants et vous n’aurez même plus à lever le poing pour les assommer, car ils s’écraseront d’eux-mêmes.

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Femme cherche homme aimant les voyages et les soupers au restaurant. Il doit être à l’écoute, compréhensif, bon cuisinier, en excellente santé physique et mentale, de belle apparence, cultivé, avec diplôme universitaire, non-fumeur, propre sur sa personne, libre, sans enfant, à l’aise financièrement, docile et obéissant. Doit posséder une voiture.


 

Mon élevage situé à Mascouche produit depuis 10 ans des lignées de champions. Venez dès aujourd’hui choisir un chiot. Les bergers québécois sont reconnus pour être des chiens de famille exceptionnels, car ils sont dociles et obéissants. Prix spécial pandémie.

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Chéri, tu cherches à mettre un peu de wow dans ta pandémie? Je saurai te satisfaire. Docile et obéissante, je réaliserai tes fantasmes les plus fous et je me soumettrai à tous tes désirs, même les plus secrets. Je t’attends. Propreté et discrétion garanties. Masque facultatif.

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Salam habibi! Planifie dès maintenant ton prochain voyage chez les Bédouins! Évite les files d’attente et réserve ta randonnée au moyen du formulaire ci-dessous. Mes chameaux dociles et obéissants te feront traverser le désert de la Pandémie en tout confort, inch’allah.

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Avec ses cinquante ans d’expérience dans l’enseignement du piano et son diktorat en musique obtenu au Conservatoire de l’armée russe à Novossibirsk, Madame Kourbaplatiska se fait fort de préparer ses élèves aux concours internationaux les plus prestigieux. Dociles et obéissants, les candidats doivent se soumettre à une discipline de (rideau de) fer. Ils devront par exemple renoncer à toute vie sociale, au magasinage, aux sports d’équipe et aux déplacements hors de leurs soyouz (communautés) respectifs. En revanche, ils pourront aspirer à voir leur portrait accroché dans les corridors du Kremlin.


 

Conforme aux préceptes véganes les plus stricts, la start-up Ascète&Cénobite vous offre son nouveau shampooing 100% naturel, Confinemasté. Offrez-vous des cheveux dociles et obéissants, sans déchets, parabènes, parfum, couleur, mousse, fun ni sensualité. C’est la nouvelle tendance!


 

Le laboratoire GenX2000 cherche des personnes disposées à participer à une étude clinique. Les sujets doivent être âgés de 60 ans et plus, en bonne santé et capables de se déplacer. Cette étude randomisée à double aveugle a pour but de prouver que l’association de deux nouvelles molécules, l’enweyaméson et le tayeulvieuxcon, pourrait produire des résultats extrêmement satisfaisants auprès des aînés qui gardent de manière inexplicable le goût de l’activité physique, de la culture, voire même du sexe. En effet, le tayeulvieuxcon potentialise par un facteur de 100 l’action lénifiante et abrutissante de l’enwéyaméson. Lors des essais préliminaires, les sujets traités ont démontré une nette propension à la docilité et à l’obéissance, tandis que les sujets du groupe placebo avaient encore le goût de penser par eux-mêmes.

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Dix chevaux à vendre (rapidement). Raisons de la vente: je voulais juste faire des p’tits tours petoum-petoum avec des picouilles dociles et obéissantes, mais mon père m’a donné les chevaux du soleil, pis là c’est le bordel. J’ai pus le contrôle, pis Zeus est en ciboire. Toute offre raisonnable sera acceptée. Écrivez-moi à: phaeton@olympe.gr

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Pierre-Paul Rubens, La Chute de Phaéton, 1604-1605.


 

Tu as besoin d’arrondir tes fins de mois?  Tu aimes les voyages exotiques? Tu es capable d’avaler de grosses capsules? Tu es docile et obéissant? Alors tu es notre homme et on est là pour toi!

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Dix remarques à propos du confinement

Chroniques de la Trumpélie du Sud en Legaultélie

 

1. L’adulation des foules est éphémère.

Il y a trois semaines, Horacio Arruda faisait figure de héros national. On imprimait des tee-shirts à son effigie, on lui composait des chansons, on créait des gifs affectueux à partir de ses pantomimes. Cette semaine, son étoile a pâli. C’est trop long, c’est trop vite, il va nous rendre fous, il va nous tuer. Sic transit gloria mundi.

2.  Néanmoins, certains jouissent d’une popularité durable.

Prenez Ricardo. Je veux être Ricardo. Il est beau. Il est riche (quoique moins ces temps-ci). Il compte des milliers et des milliers de fans admiratifs. Tous les jours, bénévolement semble-t-il, il nous propose un plat réconfortant, avec sa caméra à l’envers, ses petites gaffes cute et sa joie de vivre inébranlable. Ricardo nous ferait avaler n’importe quoi. C’est lui qui nous a fait bouffer des trucs pas mangeables comme la sriracha et le sambal oelek. C’est lui qui est à l’origine de la pénurie de farine et de levure dans les épiceries. Il nous dirait de manger de la chnoutte que nous obéirions. («Cher Ricardo. Bravo pour ta recette de pâté à la chnoutte («le meilleur»). Cependant, j’ai remplacé la bave de rat par de la sauce soya, la farine de grillon par de la chapelure et comme je n’avais pas de granules de cyanure j’ai mis des graines de moutarde. Mon chum a adoré, lui qui d’habitude déteste manger de la chnoutte. Est-il possible de congeler cette recette?»)

À propos d’obéissance et de déglutition, Donald Trump a poursuivi hier sa quête d’un prix Nobel (de médecine, cette fois-ci), en avançant l’hypothèse selon laquelle on pourrait se débarrasser du coronavirus en s’injectant ou en avalant un désinfectant.  Je ne serais pas étonnée que les casquettes rouges du Mid West suivent leur idole et se mettent à trinquer au peroxyde ou au Lysol. Les mêmes qui rejettent des restrictions destinées à leur sauver la vie en criant qu’ils préfèrent la liberté à la peur et que le confinement s’assimile à l’esclavage. (Ils savent de quoi ils parlent puisqu’ils ne l’ont aboli qu’en1976 dans le cas du Kentucky.)

Cheers les boys.

3. J’ai eu une hallucination fugitive mais ô combien délectable.

Mon docteur, oui, oui, celui qui veut me couper la viande, le vin blanc, les talons hauts et tant qu’à y être toute nourriture trois jours par semaineme conseillait fortement de fumer quelques cigarettes par jour afin de me protéger contre la covid-19. Moi qui m’étais promis de recommencer vers 85 ans, je peux à présent espérer devancer cette date

4. Puisqu’il est question de vieillesse, voici une pensée encourageante.

La crise actuelle dans les chasseldés, comme dirait le docteur Arruda, sera certainement suivie de réformes en profondeur. Les chasseldés nouveaux n’ouvriront vraisemblablement pas leurs portes avant plusieurs années, mais ce sera juste à temps pour nous accueillir. On va-tu être assez ben.

CHSLD de rêve

5. Partout au Québec et dans le monde, qu’ils soient balayeurs ou pédégés, les gens perdent leur emploi.

Force est de constater, cependant, que des liens étroits avec le Parti libéral du Québec garantissent une longue carrière de haut fonctionnaire, quel que soit le parti au pouvoir. 

6. À propos de politique, le fameux dicton américain m’est revenu à l’esprit.

Be careful what you ask for, you might get it. («Faites attention à ce que vous demandez car vous pourriez l’obtenir») François Legault et la CAQ la voulaient, la job? Ben, ils l’ont.

7. Je me prends de plus en plus pour une astronaute.

J’en suis venue à voir ma maison comme la station spatiale. J’y vis dans une relative autosuffisance. Cependant, les intrants doivent être soigneusement sélectionnés, livrés et rangés. Les sorties dans l’espace hostile (dewors) se planifient rigoureusement et longtemps à l’avance, et elles nécessitent le port d’un équipement spécial. Je fais des expériences scientifiques, sur la germination des graines de piment vert, comme chacun sait. («Houston, I have a problem.») Et à l’instar de David Saint-Jacques et de Chris Hatfield avant lui, j’essaie de communiquer avec le monde extérieur grâce aux médias sociaux. (Je n’ai pas tellement plus de talent en musique que ce dernier.)  Comme eux, je ne suis ni vraiment heureuse ni vraiment malheureuse, je suis occupée et j’observe l’univers de ma fenêtre.

astronaute

8. Je ne regarde plus la tivi en streaming, ni de tivi tout court du reste.

Les séries sont ou bedon débiles ou bedon terriblement compliquées. Amateurs de Babylon Berlin, de La Casa de papel, de Dark, où allez-vous donc chercher votre durée d’attention?

9. Posez-vous honnêtement la question. De qui vous ennuyez-vous vraiment?

Je veux dire, vraiment vraiment?

10. S’entêter à partager sa station spatiale avec un chien et deux gros chats hirsutes et casaniers quand on souffre d’allergies, c’est accepter de connaître de fréquentes séries d’éternuements.

Éternuer bruyamment cinq fois de suite pendant qu’on fait la file à la porte de la pharmacie, même derrière un masque et un coude replié, même en région, c’est s’assurer d’un bon deux mètres de distance entre soi et les autres. 

Batman

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Dix choses à éviter pour réussir votre confinement

  1. Conclure que vous êtes le seul être au monde à connaître une baisse de libido en confinement.

Ying Ying et Le Le, les pandas du zoo de Hong Kong, vivent ensemble dans un enclos depuis 10 ans. Ils se sont envoyés en l’air pour la première fois la semaine dernière. Faut-il y voir un signe d’espoir ou au contraire un motif de découragement pour l’humanité confinée?

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2. Surestimer les distances.

Deux mètres, ce n’est pas ça.

Porte-avions

La dernière fois que j’ai attendu à la porte d’un commerce (essentiel), la file s’allongeait jusqu’au milieu de la rue et les gens couraient plus de risque de se faire happer par une voiture que d’attraper le virus.

 

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3. Compter sur La Presse+ pour connaître votre avenir.

Jusqu’à mardi, nous n’avions pas les scénarios du gouvernement. Nous les avons  à présent, mais voilà que nous devrons nous passer de notre horoscope quotidien à compter de demain. Il faut croire qu’on ne peut pas tout savoir.

4. Croire que le sang de Jésus vous protège de la covid-19.

Je répète une de mes publications Facebook de cette semaine, mais c’est juste une trop énorme transgression du cinquième commandement: «Tu ne tueras point.» Voyez cette vidéo.

 

Jésus peut peut-être faire bien des choses pour vous, mais il n’a certainement pas chopé le coronavirus et, par conséquent, son sang ne contient pas d’anticorps.

5. Dans le même ordre d’idées, si vous êtes comme ces Trumpéliens, penser que saint Pierre vous lancera, à votre arrivée: «Fake news.»

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6. Crier devant votre tivi, à 13 heures chaque jour, que si vous participiez aux points de presse quotidien de nos trois mousquetaires nationaux, vous poseriez des questions moins longues/plus intelligentes/moins répétitives/moins insultantes/plus claires/name it. Autrement dit, oublier que ce sont ces «fatiquants» de journalistes qui vous permettent de garder le contact avec le monde extérieur.

7. Péter une coche dans un lieu public. Rappelez-vous qu’il y a désormais des caméras un peu partout. C’est ce qu’aurait dû fait le dude qui a écrapouti un gardien de sécurité dans le stationnement d’un Walmart. C’est ce qu’aurait dû faire également le dit gardien de sécurité, car lui aussi avait semble-t-il des ratés dans son système de gestion de la colère.

8. Vous reprocher de faire les pires dad jokes du Québec.

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9. Sous-estimer la longueur de votre repousse. Si vous avez fait faire votre teinture juste avant le confinement, soit le 12 mars, votre repousse mesure aujourd’hui un demi-pouce au moins.

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10. Vous énerver, vous impatienter, déprimer, sacrer, vitupérer, vociférer, vous décourager, vous rebeller, brailler, chialer, perdre patience, perdre courage, perdre le Nord. J’ai tout essayé, par souci d’exactitude journalistique. Ça ne sert à rien. Il ne reste que la boisson.

 

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La tentation

Chroniques de la Trumpélie du Sud en Legaultélie

 

Son charme est incontestable. Son aura a des reflets d’ambre ou de pourpre. Si proche et si loin… Vous n’auriez qu’à ouvrir la porte…

Mais vous n’êtes pas ce type de personne. Vous réservez d’habitude ce genre d’aventure à vos vacances à Playa Tequila ou au lendemain de Noël. Vous ne voulez pas tricher. Tant de choses, déjà, foutent le camp dans votre vie: vous portez les chaussettes dépareillées qui croupissaient au fond de votre tiroir; vous ne vous êtes pas brossé les dents de la journée et vous ne vous en portez pas plus mal; c’est la troisième fois cette semaine que vous regardez La mélodie du bonheur; vous vous rendez compte qu’il n’y a pas tant de gens qui vous manquent vraiment, en fin de compte.

Et si j’en prenais l’habitude, vous interrogez-vous. Dites-vous qu’il y a des gens, en ce moment même sur la planète, qui fabriquent des figurines en poils de chat, qui classent leur mousse de nombril par couleur ou qui font des puzzles tout blancs de 4000 pièces.

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Cela pourrait vous mener à la détente, à l’indolence, voire au sommeil. Rassurez-vous, c’est une réaction normale après le plaisir. Une réaction normale qui ne s’opposera pas à votre devoir civique si vous placez votre rendez-vous à 13h45, lorsque Legault, Arruda et McCann commencent à répondre aux questions en anglais.

Le fruit défendu vous travaille le corps. Vous n’auriez qu’un geste à faire. Laisser sa chaleur vous envahir, s’insinuer en vous, se répandre dans toutes vos veines. Pourquoi attendre encore quelques heures? Qui sait où nous en serons à l’heure du souper? Que nous reste-t-il sinon l’instant présent?

Un conseil de prudence s’impose cependant: prenez soin de fermer vos rideaux. L’heure est à la délation. La foule a le jugement facile. L’obéissance a la cote. Un snowbird enfermé dans sa roulotte qui doit purger sa peine de deux semaines pour avoir passé trois mois au soleil pendant que le reste du Québec s’enfargeait dans les congères pourrait lui-même se retrouver en manque, vous surprendre en flagrant délit et vous dénoncer. Car il n’y a qu’un pas entre le plaisir des sens et les rassemblements honteux. Un peu plus et vous pourriez en venir à taponner sans vergogne des cannes de tomates en dés chez Métro.

«Je résiste à tout sauf à la tentation», disait Oscar Wilde. Vous savez bien que tôt ou tard, vous allez flancher. Car outre le snowbird dont j’ai parlé plus haut, celui-là même qui perd son bronzage dans un camping de Lévis, qui pourrait être témoin de votre dépravation? Vous n’avez qu’à vous assurer que vous avez bien mis fin à votre dernier appel FaceTime. Et si par malheur cet appel mal interrompu vous exposait à votre boss que le télétravail empêche de bosser en paix, demandez-vous un peu ce qu’il portait, lui, sous le bureau? Mmmm? Du linge mou? Un tutu? Rien pantoute? Pire?

Après, enhardi par cette première transgression, vous pourriez devenir sentimental, créatif, voire un peu poète. On sait bien, du reste, que les poètes ont de tout temps abusé ignoblement de la chose. Bien sûr, vous ne prendrez aucun risque et vous demeurerez le bon petit soldat que vous êtes depuis le début.

Mais, qui sait, votre esprit pourrait s’envoler au-delà de cet hiver qui n’en finit plus et prendre son essor au-dessus des tas de neige noire qui seront encore là quand le pic sera passé. Il pourrait suivre les outardes parce que c’est une des dernières choses qui ont encore l’air de marcher dans la nature. Vous pourriez demander plus, demander moins, demander mieux. Vous pourriez même rêver d’une vie où l’on n’aurait plus besoin des magasins à une piasse pour donner un rush au pauvre monde.

Alors, allez-y donc, prenez-le donc votre verre de vin le midi.

 

Le mot de la pas fine

Le mot de la pas fine, cette semaine, c’est un mot de poète, le poète Guillaume Apollinaire:

«Comme la vie est lente
Et comme l’Espérance est violente»

 

 


Bonjour, belle dame du Sud du Nord,

La journée de mardi avait pourtant bien commencé. Je m’étais promis de ne pas boire avant 17h00. Bon, peut-être 16h30, ou 16h00. En tout cas, 15h00, c’était ma dernière offre.

Tout ragaillardi par cette audacieuse résolution, j’enfile mes souliers de marche préférés… et te me voilà-t-il pas que cette journée à peine commencée me niaise déjà: une fissure dans le cuir dudit soulier. Dans un réflexe antécovidien, je me dis bah, facile à réparer sans doute, suffit de me rendre au village où ma cordonnière préférée te me recoudra ça rien que sur une. Mais la réalité de me gifler aussitôt: de cordonnière, y en a pas. Elle est sur «pause», comme le printemps, les bistrots et le bonheur.

Enfilant une paire de chaussures de rechange – j’en ai stocké 600 en prévision de -, j’entreprends ma balade du matin pendant qu’en moi s’agitent de sombres pensées. Je coule un regard vaguement dégoûté sur le paysage de mon coin de la Dystopie du nord et constate qu’il se décline encore dans des tons de blanc sale et de gris mal blanchi. J’envie les Montréalais, à peine 70 km plus au sud où je n’ai plus le droit de me rendre, qui peuvent battre la semelle sur du bitume sec comme un coup de matraque, admirant les terrasses vides où, à une autre époque, grouillait dans une promiscuité obscène une humanité déjà décadente.

Je pense distanciation sociale, fissure, que dis-je? cratère entre les générations, les nations et même les MRC, la vôtre reniant maintenant la mienne située à peine plus au nord. Je pense aux postillons forcés de franchir deux mètres et plus pour aller se poser, la plupart finissant à la rue. Je pense aux spermatozoïdes bloqués aux frontières d’amours déjà vacillantes et maintenant confinées dans son chacun sa télé et pas ce soir chéri, c’est le point de presse.

J’en étais là de mon spleen matinal quand je l’ai vue: la fissure, la vraie. Celle du lac tout près de chez moi. M’est revenue alors en tête la phrase de Leonard Cohen, notre Canadian anglais à nous, où il parlait de la lumière qui finissait toujours par pénétrer à travers «a crack in the wall»  ou kekchose comme. Ça m’a achevé. Cette craque dans le lac irait s’agrandissant, et la lumière y deviendrait de plus en plus vive et persistante à mesure que s’allongeraient les jours. Et j’y verrais de plus en plus clair et de plus en plus longtemps. Shit.

Je prendrais de plus en plus conscience de la fragilité de l’humanité mondialisante et autodestructrice. Je me rendrais compte qu’il y aurait un après et que cet après ne le serait qu’en attendant le prochain virus, cataclysme ou astéroïde égaré. J’avais jusqu’ici vécu dans une bienheureuse imbécillité, rarement altérée par d’importuns moments de lucidité où je me rendais bien compte qu’on fonçait dans le mur et que tout disparaîtrait mais bof, tant que je pouvais écouter La Poule aux œufs d’or, The Price is Right et les reprises des Belles histoires des pays d’en haut, y avait moyen de dormir.

Cette lumière aveuglante venue du lac, je la détestais déjà. Je suis rentré chez nous et ai attaqué mon vin du midi. Après quelques verres, la béatitude est revenue. J’ai trinqué avec l’avenir, et d’une grande poignée de coudes un peu trop souvent levés, nous avons chanté ensemble: ça va bien aller!

Luc Bédard, votre voisin du nord du Nord

 

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Conseils pour réussir votre confinement

Chroniques de la Trumpélie du Sud en Legaultélie

 

Pour tromper l’ennui, mousser votre créativité ou calmer vos craintes, je vous offre aujourd’hui mes conseils coups de cœur.

  1. Revisitez votre recette familiale de crastillon. Ce plat traditionnel, c’est comme le cipaille et la canasta: iI en existe autant de variantes que de familles. Alors faites preuve de créativité et surprenez vos proches en y ajoutant par exemple du curcuma ou du matcha pour lui donner une jolie couleur.

 

 

2. Repassez votre linge mou. Cela va structurer votre journée et vous conférer un sentiment de contrôle.

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3. Lisez du Schopenhauer. Vous n’allez rien comprendre, mais vous allez avoir l’impression d’être smatte.

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4. Bien que tout cuisinier digne de ce nom ait publié sa recette ces derniers jours, abstenez-vous de confectionner des tartelettes portugaises. En effet, l’odeur de ces pâtisseries va attirer tous vos voisins à moins de 2 mètres de votre four et ça, c’est verboten. Si vous tenez absolument à  faire un tour du côté de la cuisine portugaise, optez plutôt pour un plat de morue. Votre isolement deviendra total.

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5. Si, en plus de tenir vos voisins de condo à distance, vous voulez vraiment les emmerder, vous avez toujours à votre disposition les plats indiens à base de cari.

6. Vous jouez du yukulele, de la bombarde, du gazou? Faites comme tous les musiciens du monde. Organisez-vous avec votre pote qui vit à Plougastel-Louannec pour réaliser grâce à FaceTime un duplex dé-timé d’absolument n’importe quelle toune imaginable. Mieux encore, remplacez les paroles traditionnelles d’une chanson, qu’il s’agisse de l’Air des bijoux de Faust ou de Au clair de la lune, par des consignes de prévention : «Au clair de la lune, lavez-vous les mains. Touche pas à ma plume…  Gna gna gna gna gna.»

7. Mangez vos rôties matinales au-dessus de votre iPad. Après, ouvrez votre fil Facebook et rendez-vous à la section «Vous connaissez peut-être». Faites défiler les visages jusqu’à ce qu’un sous-groupe de miettes dessine une moustache parfaite à l’une des connaissances de vos connaissances. Faites une capture d’écran et partagez.

8. Si les voyages vous manquent déjà, regardez cette vidéo. Il paraît qu’une chose semblable m’est déjà arrivée mais je ne pourrai pas la raconter à mes petits-enfants car je m’étais lourdement droguée à l’aéroport de Nairobi, entre les ballots de maïs, les chèvres maigrichonnes et les Indiana Jones assis par terre à fumer le cigare. Quand j’ai repris mes sens, j’étais assise devant un café crème et un croissant à l’aéroport Charles-de-Gaulle. Mes compagnons de voyage étaient un peu secoués mais moi j’avais le goût de m’acheter une sacoche. Tout était rentré dans l’ordre.

 

9. Mesdames, si vous avez en ce moment des fantasmes sexuels mettant en scène Horacio Arruda ou François Legault, dites-vous que c’est l’effet du confinement. C’est temporaire. Vous allez naturellement revenir à Brad Pitt et George Clooney lorsque la vie reprendra son cours normal.

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Bye, bye, Cocovide-45

Chronique de la Trumpélie du Sud en Legaultélie

 

J’ai failli rester. Planquée sous mon palmier, à commander chez Walmart mon sauvignon blanc à saveur de pamplemousse.

Et puis j’ai comparé les duos: Trump/Pence d’une part et Legault/Arruda de l’autre. Y’avait pas photo. Fallait que je me tire là où mes chances de survie étaient les meilleures.

Car si le système de santé du Québec a deux vitesses, celui de la Trumpélie en compte 21, comme mon bécique, et je ne voyais pas clairement sur lequel des pignons j’allais tomber si d’aventure il venait à l’idée du coronavirus de squatter mon body.

J’ai donc paqueté mon linge d’été et dit bye bye à Cocovide-45, celui qui donne raison à Céline Dion quand elle chante que le monde est mené par des fous (tous sauf Monsieur Legault). Si vous en doutiez encore, regardez cette vidéo et vous serez vite convaincu, comme moi, que l’homme aurait bientôt sur la conscience, s’il en avait,  la mort de milliers de ses concitoyens.

 

 

Parcourir 2750 kilomètres en deux jours, c’est comme partir de Montréal pour Québec, s’apercevoir qu’il fait frette sur la terrasse Dufferin et qu’on a oublié sa tuque, retourner à Montréal la chercher, repartir pour Québec, se rappeler une fois rendu sur la rue du Petit Champlain qu’on a oublié de nourrir son canari, retourner à Montréal et reprendre la 20 vers l’est, pis tant qu’à faire, cette fois, pousser jusqu’à Forestville. Et recommencer le lendemain.

Pour échapper à l’emprise du virus, j’ai lunché dans le stationnement désert d’une église de l’État de New York d’un œuf dur, de p’tits poissons au fromage et d’un jus de légumes tablette, abritée de la pluie froide par le hayon du char, sous une enseigne qui clamait: «Jesus saves.» C’est toujours ben ça de pris.

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Ce n’était que le début du festival des feelings bizarres.

J’ai retrouvé mes trois arpents de bois deboutte et mes épinettes qui ne respectent pas entre elles la distance salutaire.

Finalement, j’ai agi en bon petit soldat, mais je ne saurai jamais si j’ai fait la bonne affaire.

Un autre élément qui s’ajoute à la longue liste des choses qu’on ne saura jamais, genre:

  • qui a tué Kennedy;
  • s’il y a une vie après la mort;
  • si cette balle de tennis attrapée à la volée en fond de terrain puis ratée était out anyway;
  • de quoi le Québec aurait l’air si Cartier avait abouti plus au sud;
  • si le but d’Alain Côté était bon;
  • où en serait le Québec si on avait voté oui;
  • comment un dude en est venu à croire que bouffer des écailles de pangolin allait lui durcir la bite.

Le mot de la pas fine

Ça ne me fait pas du bien de voir la chambre à coucher de Luc de Larochellière, le sous-sol de Michel Rivard et l’escalier contemporain de France Beaudoin. Je trouve même ça malaisant. T’as pas de chance que je regarde ta chanson/ton monologue/ta prestation enregistrés chez toi sous le coup de l’émotion, sauf si tu t’appelles Yannick, Yo-Yo Ma ou Ricardo. Pis le dude qui chante Nessun dorma du haut de son balcon florentin.

 

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Western au temps du corona

Le confinement volontaire et l’éloignement social sont moins durs au soleil, je serais bien hypocrite de vous dire le contraire. Néanmoins, il faut bien s’occuper si l’on ne veut pas se limiter aux bains de soleil et ajouter le mélanome à la liste de tous nos maux potentiels. Faque une fois qu’on a répété pour la énième fois la Sonate à la lune (avec des résultats toujours aussi affligeants), qu’on a relu l’Iliade et l’Odyssée, comme disait Charlebois, et qu’on a fait les ongles à son chien, il faut bien s’occuper, question de se retenir de fabriquer du Purell avec de la vodka et du Jello vert.

Pour ça, il y a Netflix, Apple et Amazon, bien entendu. C’est sur cette dernière plateforme qu’attirée par l’odeur thérapeutique du crottin, j’ai acheté la série Yellowstone. Je confesse que toute image de Kevin Costner coiffé d’un stetson, même à l’âge canonique de 65 ans, a l’heur de me faire oublier pendant quelques instants la peste bubonique, la lèpre et le choléra.

Ah! les fabuleux paysages du Montana et de l’Utah! Ah! les chevaux qui hennissent et galopent à qui mieux mieux dans les prairies verdoyantes! Ah! le meilleur de la musique country en bande sonore!

 

Une fois émoussé ce premier émerveillement, cependant, il ne reste qu’un mélange tex-mex indigeste de Dynasty, du Parrain et des Sopranos. Les prises de vue bucoliques, les cascades, les animaux à la tonne, tant d’argent et d’énergie dépensés au service d’un récit lourdingue, compliqué pour e-rien, et d’un dialogue sentencieux! Il s’agit ni plus ni moins d’un roman savon à saveur western où, au milieu de la deuxième saison, on compte essentiellement trois personnages féminins, deux d’entre eux n’ayant que des jos pour les différencier de tous les autres machos du scénario.  Pow pow, t’es mort. Mon esti, quin, prends mon poing sua yeule. Touche pas à c’te plotte-là, c’t’à moé. T’es-tu un homme ou bedon un fif? (Je traduis librement, là.)

Je souhaite que les autorités compétentes en matière de santé mentale émettent un avis interdisant le visionnement de ce navet honteux aux personnes sensibles et aux scénaristes frustrés qui, comme moi, n’ont entendu tout au long de leur carrière que la même ritournelle: coupe cette scène/ce dialogue/ce décor, pas d’argent pour faire ça.

En conclusion, ne gaspillez pas les économies que le coronavirus vient de rétrécir comme peau de chagrin et évitez Yellowstone. Pour Costner dans la fleur de l’âge, revoyez Bull Durham. Pour les westerns, il y a John Ford et Sergio Leone. Pour (ne plus) savoir comment être un homme, lisez Luc Bédard ci-après.

 

Le mot de la pas fine

 

À propos de Far West, je vous invite aujourd’hui à comparer ce clip-ci…

 

à celui-là…

https://lp.ca/z64Z7r

 


PurellBonjour, belle dame du Sud,

Je vous le jure, j’allais vous répondre. Je veux dire: répondre à votre chronique du 6 mars dernier, où vous posiez fort pertinemment et éloquemment la question des plaisirs coupables. Ma réponse était là, germant dans le terreau fertile de mon cerveau paranoïaque.

Puis je suis tombé, en zappant sur Netflix, sur une série où, en sus des avertissements pour langage vulgaire (on nous abreuvait sans doute de «putain, mec, tu déconnes grave!» et autres insanités dues au f…ing  doublage en français dit international, donc de France), on ajoutait qu’on s’exposait, en visionnant cette série, à voir des scènes de consommation… de tabac! Si, si! Entre deux rafales de AK-47 bien fumantes, on risquait de voir un ou des personnages s’allumer une Mark Ten, une Marlboro ou quelque autre insanité insalubre et sale qui risquerait de nous faire envie, le tout confinant au porntabagisme. Ça m’a mis dans une telle colère, j’en fume encore.

Le temps de boire deux ou trois bouteilles de vin pour me calmer, je me suis rendu à l’évidence et à la police de la pensée. On en est là, me suis-je avoué. Nous vivons une époque formidable qui ne tolère plus la plus microscopique toxine dans l’anti-corps de notre judéo-chrétien intérieur collectif. On multiplie à l’infini les safe spaces où l’on peut cacher à tout un chacun ce sein, cette clope, ce steak, ce mononcle blanc hétéro qu’il ne saurait voir.

Le problème avec le virus de la pureté idéologique, c’est qu’une fois qu’on est infecté, il est difficile de le garder pour soi et en soi. Ce qui n’était au départ qu’un isolement volontaire pour soi  et ses proches – pas trop proches tout de même, minimum deux mètres – creuse un cratère de plus en plus large et profond entre soi et les autres, us and them comme chantait Pink Floyd.  Le microbe se propage à une vitesse dont on perd vite la trace et le contrôle, il se mondialise, du mamelon dénudé au Superbowl on passe à une actrice professionnelle qu’on presse de ne pas jouer le rôle d’une transgenre si elle ne l’est pas pour vrai dans sa vie qui n’a dès lors plus rien de privé. À quand les rôles d’agonisants réservés aux ceusses en phase irrémédiablement terminale?

Je vous laisse là-dessus, chère amie, je dois relire un texte, pour m’en bien imprégner, de La Presse de ce matin où une militante trace pour nous, pauvres mecs à qui il faut pardonner car ils ne savent pas ce qu’ils sont, la ligne exacte entre les vrais et les faux «alliés féministes». Elle nous prévient d’ailleurs: si ça ne fait pas mal, c’est qu’on n’en est pas.

Est-ce si compliqué et douloureux d’avoir un peu d’empathie envers les ceusses qui diffèrent de nous? Des fois, c’est bien simple, il me prend des envies de (re)devenir le pur macho cromagnon qui se terre sans doute dans mon chromosome Y. Pendant un instant, je pense que même que ça me ferait  quasiment du bien… 

Votre bien impur ami du Nord,

Luc Bédard

 

 

 

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