Chroniques de la Trumpélie du Sud en Legaultélie
Chère Trumpélie,
Je suis fatiguée.
Les relations d’amour-haine, à vingt ou trente ans, c’est excitant. Ça donne l’impression d’avoir une vie passionnante.
Mais quand on atteint l’âge d’être vaccinée en priorité, c’est juste épuisant.
Les huit premières années de notre relation, je t’ai trouvée parfois brillante, parfois loufoque, mais toujours intéressante. J’ai découvert chez toi des paysages parmi les plus sublimes du monde. J’ai dégusté la douceur des soirées de février, à écouter chanter les grillons avant d’aller faire une dernière saucette. J’ai senti ton inlassable énergie même dans un État où la légende veut que tout le monde se déplace avec une marchette.
Mais depuis les quatre dernières années, j’ai assisté aux premières loges à tes étalages d’actes et de pensées déplorables, cruels, injustes et parfois même démentiels. (Les palmiers se balançaient quand même au vent, c’est ça le maudit problème.)
Trumpélie, je t’aime : l’histoire de Sam
Mon ami Sam le peintre avait mal au ventre. Sa blonde l’a emmené à l’hôpital. Il en est ressorti 52 jours plus tard, un kilomètre d’intestin en moins et un pronostic réservé, comme ils disent.
Même en Trumpélie, on ne vit pas richement quand on est un artiste. Sam a bien sûr des collectionneurs fidèles et un poste d’enseignant à temps partiel au centre d’art, mais je doute qu’il ait des assurances santé en béton. Sa blonde a donc lancé un GoFundMe avec un objectif de 25 000 $. L’objectif a été largement dépassé en quelques jours à peine, à coup de 10, 20, 100 ou 1000 dollars. Héritage du protestantisme? Marque d’amitié envers un prof formidable? Les Trumpéliens sont généreux.
Trumpélie, je te hais : l’histoire de Maria
Maria, 32 ans, était gestionnaire dans un autre centre d’art du comté de Palm Beach. Elle venait d’acheter une maison avec son amoureux. Elle devait se marier le 31 décembre. Le 6 décembre, comme tous les dimanches, elle a installé sa chaise longue sur la plage de Singer Island, une plage touristique généralement bondée. Pendant qu’elle regardait son chum jouer au ballon, elle a été atteinte par une balle perdue et est morte à l’hôpital quelques heures plus tard. Le 15 décembre, la police arrêtait l’auteur présumé de l’homicide : un adolescent de 16 ans.
À quel endroit pensez-vous quand vous êtes sur la chaise du dentiste?
J’ai plusieurs amis qui, lorsqu’ils subissent une coloscopie et qu’on les invite à visualiser leur lieu préféré entre tous, évoquent l’image de la Gaspésie. Ils y retournent chaque année, attirés par ses phares poétiques et ses marées toujours renouvelées. Et les semaines complètes de pluie à 5 degrés en plein mois de juillet, ça ne les achale pas? Bien sûr, mais c’est si peu de chose en comparaison…
J’ai d’autres amis qui ne jurent que par l’Islande. N’appuyez pas sur le bouton « aurores boréales », ils sont partis pour la soirée. C’est leur coin de paradis, leur lieu de ressourcement, c’en est presque mystique. Bon, bien sûr, le poisson cru mariné dans l’huile pour déjeuner, c’est pas top, mais rien n’est parfait, on s’apporte des barres tendres.
Le balancier de ces touristes a une faible amplitude. L’écart entre ce qu’ils aiment de leur lieu de prédilection et ce qu’ils en détestent n’est pas étendu comme la Patagonie. Dresser le bilan de leurs goûts et dégouts ne leur donne pas le vertige ni le torticolis. Ils s’accomodent des petites lacunes comme on s’accomode des petits défauts de l’homme de sa vie. On ne divorce tout de même pas parce qu’il brasse son café pendant 10 minutes le matin…
Trumpélie, l’oiseau des neiges est à boutte
Moi, chère Trumpélie, tu m’obliges à composer avec des spectacles comme celui du 6 janvier 2021, une disgrâce propre à faire rougir jusqu’au chromosome Y que portent la vaste majorité des protestataires blancs du Capitole (sauf bien entendu celle qui est morte de sa passion pour le président sortant).
Tu m’obliges à composer avec l’hypocrisie de tes médias, qui rivalisaient d’indignation le soir du 6 janvier, oui oui, même Fox, alors qu’ils ont nourri leurs cotes d’écoute pendant quatre ans en s’appesantissant sur le moindre tweet de Trump.
Tu m’obliges à entendre d’illustres commentateurs (dont l’ancien président Bush lui-même) comparer les événements à ceux qui caractérisent les républiques de banane en faisant l’impasse sur le fait que ce sont les USA eux-mêmes qui ont concouru à installer et à perpétuer ces régimes iniques.
Chère Trumpélie, c’est parfois vraiment difficile de se rappeler que tu as accueilli Einstein et lui as offert une job à l’université.


C’est parfois presque incroyable que tu sois la patrie de Betty Friedan et de Gloria Steinem.
C’est parfois tout à fait étonnant qu’aient pu éclore chez toi des talents comme ceux de Jackson Pollock et de Yo-Yo Ma, pour ne nommer que ceux-là.
Chère Trumpélie du Sud, tu me donnes envie d’aller voir si les fruits de la Guadeloupe sont si doux qu’on en oublie l’hiver et l’hommerie. D’aller vérifier si le chant des oiseaux au Costa Rica vaut qu’on vive avec des volcans pas tout à fait éteints. Tu me donnes envie d’aller voir s’il y a encore du corail dans les eaux des Bahamas. Tu me donnes envie de vérifier s’il existe encore au Mexique des villages épargnés par les cartels.


Chère Trumpélie du Sud, maintenant qu’une partie substantielle des taxes que je déverse à la pelletée dans tes coffres ne servira plus à financer les caprices d’un président fou qui s’entête à jouer au golf chez toi, je te donne une dernière chance. Mais vraiment une dernière.